Nutrition : pour bien vieillir, il faut adapter son alimentation à son âge
Le rôle de l’alimentation dans la prévention du surpoids, de l’obésité et de nombreuses maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires, le diabète ou certains cancers, ne fait plus de doute. Au fil des ans, les messages de santé publique se sont multipliés pour faire prendre conscience aux citoyens de l’importance d’une alimentation saine et équilibrée.
Cependant, un point demeure encore aujourd’hui peu connu du public : l’importance d’adapter le contenu de ses repas à mesure que l’on avance en âge. En effet, le vieillissement modifie notre état nutritionnel. En matière d’alimentation, les recommandations qui ciblent les personnes âgées diffèrent parfois de celles s’adressant aux individus plus jeunes.
Le « paradoxe de l’obésité »
À partir de l’âge adulte, le poids et l’indice de masse corporelle (IMC), qui établit un rapport entre poids et taille (IMC=Poids en kg/Taille2(en cm)) augmentent régulièrement. En France, la proportion de personnes obèses augmente jusque l’âge de 65 ans.
Différents mécanismes interviennent dans la prise de poids, qui varient au cours de l’existence. La modification de la composition corporelle joue notamment un rôle important : les facteurs hormonaux et la sédentarité, entre autres, conduisent à une diminution de la masse musculaire et une augmentation de la masse grasse. Avec l’âge, donc, la dépense énergétique a tendance à diminuer. À cela s’ajoute un dysfonctionnement de la régulation de l’appétit qui menace la stabilité du poids. Les personnes âgées perçoivent peu la sensation de soif, mais il existe aussi un défaut de perception non seulement de la sensation de faim, mais aussi de rassasiement et de satiété. Le plus souvent, cette situation conduit à une prise de poids progressive.
Cette prise de poids peut être acceptée lorsqu’elle reste modérée, sans retentissement sur la mobilité et l’équilibre métabolique. Pour prévenir un excès de prise de poids, il est conseillé une alimentation diversifiée, plaisante, avec un rythme régulier (sans sauter de repas ni grignoter de façon excessive) associée à une activité physique régulière. Il n’y a pas d’aliment interdit, mais certains sont à limiter, comme les aliments denses en graisses cachées (présentes notamment dans certaines préparations industrielles), les produits très sucrés (sodas, confiseries) et l’alcool.
Il est important de noter que si cette augmentation de l’IMC a des conséquences délétères sur la santé (en favorisant la survenue de diabète, l’hypertension artérielle, etc.), l’association entre IMC élevé et mortalité semble moins importante chez les personnes âgées que chez les sujets jeunes. Il existe même un « paradoxe de l’obésité » : chez les sujets âgés et dans certaines pathologies chroniques (insuffisance cardiaque, respiratoire ou rénale par exemple), l’obésité pourrait être associée à une survie prolongée. En effet, de nombreuses maladies chroniques, lorsqu’elles deviennent sévères ou qu’elles se compliquent de pathologies aiguës, s’accompagnent d’anorexie (réduction des apports) et augmentent la dépense énergétique (augmentation des besoins) et peuvent entraîner une dénutrition qui représente un tournant évolutif majeur. Le surpoids et l’obésité pourraient constituer une réserve énergétique qui limite la survenue de la dénutrition et ainsi améliore le pronostic.
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À partir de 65 ans, la proportion de sujets obèses a tendance à diminuer. Ce phénomène peut être expliqué par la mortalité prématurée des obèses liée aux complications de l’obésité. Mais un autre facteur intervient également : la perte de poids liée aux pathologies chroniques, qui deviennent plus fréquentes et plus nombreuses avec l’âge.
Il faut en effet souligner qu’après 65 ou 70 ans, la perte de poids est plus souvent délétère que bénéfique ; statistiquement, elle est associée à une surmortalité.
La dénutrition, cette inconnue qui tue
Le plus souvent, la perte de poids est déclenchée par un événement médical, psychologique ou social, ou par l’accumulation de facteurs ayant un retentissement sur l’autonomie. Les causes peuvent donc être diverses, multiples et intriquées :
Par exemple, une personne âgée isolée qui a une maladie d’Alzheimer peut aussi présenter des troubles de la marche en raison d’une arthrose du genou ; elle a alors des difficultés pour faire ses courses et pour préparer ses repas ce qui augmente le risque de dénutrition. Si elle est hospitalisée pour une chute avec fracture du col du fémur, elle risque de diminuer encore ses apports alimentaires et aggraver son statut nutritionnel.
De plus, lorsque les apports alimentaires diminuent et entraînent une perte de poids, l’anorexie se prolonge durablement. Cette situation est notamment liée au dysfonctionnement de la régulation de l’appétit qui survient au cours du vieillissement.
En cas de problèmes de santé (dépression, troubles cognitifs comme la maladie d’Alzheimer, etc.) ou de stress émotionnel (lié à la perte d’un proche, une perte d’autonomie) ou encore en cas d’hospitalisation combinant les effets de la maladie, de l’anxiété et du changement d’alimentation, les personnes âgées sont particulièrement à risque de dénutrition, laquelle va elle-même favoriser des situations pathologiques en cascade : chutes, fractures, infections nosocomiales, complications postopératoires, escarres, perte d’autonomie, surmortalité.
La dénutrition passe souvent inaperçue, car elle est peu connue non seulement du grand public, mais aussi du corps médical. Elle n’est donc pas prise en charge. Pourtant, sa fréquence augmente avec l’avancée en âge : elle concerne 4 à 10 % des plus de 65 ans vivant à domicile, 15 à 38 % en Ehpad et 30 à 70 % lors d’une hospitalisation.
Le signe le plus sensible est la perte de poids. Les effets du vieillissement (baisse de la sensation de faim, réduction progressive des apports alimentaires, diminution de l’activité physique…) se conjuguent avec les conséquences des pathologies, dont la fréquence et le nombre augmentent avec l’avancée en âge.
Tout l’enjeu est de dépister précocement les pertes de poids, en le surveillant régulièrement, si nécessaire en s’aidant d’une courbe de poids, afin d’adopter rapidement des mesures simples pour améliorer l’alimentation. Il faut s’alarmer dès la perte de 3 kg et informer immédiatement le médecin traitant, car la prise en charge sera d’autant plus efficace qu’elle est précoce. Elle associe des conseils nutritionnels (3 repas variés adaptés aux goûts de la personne par jour, goûters ou collations), un enrichissement de l’alimentation en protéines et en énergie et éventuellement des compléments nutritionnels oraux remboursés sur prescription médicale. Pour enrichir l’alimentation, on peut utiliser par exemple de la poudre de lait, du beurre, de la crème fraîche, du fromage râpé ou des œufs. On peut également utiliser des épices et des herbes aromatiques pour relever le goût des aliments.
Lutter contre la perte de masse musculaire : un enjeu nutritionnel majeur
L’avancée en âge s’accompagne d’une perte progressive, mais importante, de la masse musculaire. Nous perdons près de 40 % de notre masse musculaire entre les âges de 40 et 90 ans. On observe aussi une diminution de la force musculaire et une diminution de la performance physique (diminution de la vitesse de marche par exemple).
On parle de sarcopénie lorsque la force et la masse musculaires sont basses et de sarcopénie sévère lorsqu’il y a aussi une atteinte des performances physiques. La sarcopénie a des conséquences importantes sur la mobilité, l’autonomie et le risque de chute et de fracture. Elle accélère l’entrée en institution et augmente le risque de décès.
Le principal déterminant de la sarcopénie est l’avancée en âge (sarcopénie primaire), mais d’autres causes peuvent être identifiées comme les pathologies aiguës ou chroniques (cancers, insuffisance cardiaque…) et la dénutrition (sarcopénie secondaire). De plus, les « régimes amaigrissants » aggravent le risque de fonte musculaire. Enfin, l’obésité sarcopénique représente quant à elle une situation où l’excès de masse grasse est associé à de faibles capacités musculaires, ce qui entraîne un risque majeur de perte de la mobilité.
Afin de prévenir ou de retarder la survenue de la sarcopénie, il faut d’abord maintenir des apports protéiques suffisants dans l’alimentation. En effet, les protéines sont composées d’acides aminés qui constituent les « briques » qui permettent à l’organisme de synthétiser du muscle. Ils vont également stimuler la synthèse musculaire.
Les apports recommandés chez les sujets de plus de 65 ans correspondent à la consommation de deux portions de viande, œufs ou poisson par jour et de trois à quatre portions de laitage. Ces quantités sont supérieures à celles qui sont recommandées pour les sujets plus jeunes. Dans les recommandations de 2019, il est conseillé aux adultes de diminuer leur consommation de viande et de privilégier la volaille, le poisson et les protéines végétales et d’avoir une consommation de produits laitiers limitée. De plus, pour les adultes, l’Organisation mondiale de la Santé recommande 0,8 g de protéines/kg de poids corporel/jour. Pour les personnes âgées, les recommandations sont d’au moins 1 g/kg/j, et certains experts proposent 1,2 g/kg/j.
Augmenter les portions ne suffit pas : l’activité physique est indispensable pour stimuler la synthèse musculaire et maintenir les capacités fonctionnelles. Cette activité physique doit être adaptée aux capacités de chacun et combiner des activités d’endurance (marche, vélo, natation), de renforcement musculaire, d’équilibre et de souplesse.
Enfin, la supplémentation en vitamine D est nécessaire, car sa carence favorise la faiblesse musculaire. Les sujets âgés sont particulièrement concernés par la carence en vitamine D du fait d’une plus faible exposition au soleil et d’une diminution des capacités de synthèse cutanée. Les conséquences sur la santé sont également plus sévères (ostéoporose et sarcopénie).
Lutter contre les idées reçues
Perte de masse et de force musculaire, dénutrition : l’avancée en âge fragilise le statut nutritionnel, ce qui peut avoir de lourdes conséquences sur la santé.
Pour cette raison, il est essentiel de lutter contre les idées reçues en lien avec l’alimentation des seniors (« les personnes âgées ont besoin de moins manger », « je suis content·e de perdre du poids, ça va me faire du bien »…) et de promouvoir les bonnes habitudes de vie à observer à mesure que l’on avance en âge :
Maintenir des apports protéiques suffisants en consommant deux portions de viande, œufs ou poisson par jour et trois à quatre portions de laitage ;
Éviter les régimes amaigrissants en dehors de quelques situations particulières notamment lorsque l’obésité est à l’origine de graves problèmes de santé comme une insuffisance respiratoire par exemple ;
Pratiquer une activité physique adaptée et régulière. Il faut saisir toutes les occasions de bouger dans notre vie quotidienne ! La marche est l’activité physique la plus abordable est peut être pratiquée par tous. Les activités aquatiques (natation, aquagym) ne provoquent pas de douleurs articulaires. Les possibilités sont infinies ;
Prendre une supplémentation en vitamine D (sur prescription médicale) ;
Surveiller son poids régulièrement, notamment lors des situations à risque de dénutrition (hospitalisations, maladie d’Alzheimer et maladies apparentées, dépression, perte d’autonomie).
La Région Île-de-France finance des projets de recherche relevant de Domaines d’intérêt majeur et s’engage à travers le dispositif Paris Région Phd pour le développement du doctorat et de la formation par la recherche en cofinançant 100 contrats doctoraux d’ici 2022. Pour en savoir plus, visitez iledefrance.fr/education-recherche.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
A propos des auteurs
Cet article de vulgarisation scientifique a été réalisé à l’initiative du Gerond’if, le gérontopôle d’Ile-de-France.
Anaïs Cloppet-Fontaine, Gériatre – Chef de projet à Gérond’if, porteur du DIM (domaine d’intérêt majeur) longévité et vieillissement labellisé par la Région Ile-de-France, Région Île-de-France.
Agathe Raynaud-Simon, Docteur en médecine, spécialiste en gériatrie et en nutrition, Professeur à l’Université de Paris et Praticien Hospitalier à l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP), Chef du Département de Gériatrie Bichat – Beaujon – Bretonneau (APHP.Nord), Présidente de la Fédération Française de Nutrition, Membre du Conseil d’administration de la Société Francophone de Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNCM), Membre du Groupe des Experts en Gériatrie et Nutrition de la Société Française de Gériatrie et Gérontologie (SFGG), Membre du bureau du collectif de lutte contre la dénutrition, Membre du bureau du gérontopôle d’Ile-de-France – Gérond’if.
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