Linut, un réseau ville-hôpital qui fonctionne
Jean-Claude Desport
Médecin nutritionniste à l’Unité de nutrition du CHU de Limoges (87), membre de la société francophone nutrition clinique et métabolisme (Sfnep), professeur de nutrition à la faculté de médecine de Limoges, président du Réseau Linut France.
Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Le réseau Limousin nutrition (Linut) a fêté ses 10 ans en 2014. Quelle est la clé de son succès ?
Jean-Claude Desport : La grande force du réseau ARS Linut est de proposer, dans un parcours de soins, une prise en charge globale, incluant le dépistage (de la dénutrition comme de l’excès de poids), la prise en charge des patients, l’accompagnement des maisons de retraite sur les questions relatives à l’alimentation et la formation en nutrition des personnels, mais aussi du grand public et des aidants. Au départ, nous intervenions dans les maisons de retraite en aidant le personnel existant, puis les choses se sont étoffées : nous avons aidé à l’élaboration et la vérification des menus et mis en place des outils destinés à une large diffusion (fiches diététiques, posters, etc.). Puis d’autres réseaux, comme Néphrolim ou Hématolim, nous ont sollicités pour qu’on les aide et qu’on suive les patients dénutris à domicile. Aujourd’hui, il faudrait davantage de moyens. Notre réseau de soins compte plus de 650 patients, ce qui est important. C’est un petit hôpital qui se balade dans la nature mais qui coûte beaucoup moins cher à la collectivité qu’une structure fixe. À moyen terme, ce type de structure est rentable, et pourtant, les pouvoirs publics sont réticents à en augmenter le nombre. C’est d’autant plus frustrant que notre projet marche. En effet, nous avons été évalués, et les résultats auprès des patients et des professionnels sont très positifs. Regardez notre livre de recettes. Non seulement il redonne envie aux personnes âgées de manger en proposant des plats de fruits et légumes mixés et colorés, mais les cuisiniers retrouvent le plaisir de cuisiner !
CLD : Comment expliquez-vous ce blocage ?
JCD : Outre les raisons financières, il y a aussi beaucoup d’obstacles psychologiques, y compris chez les médecins. Combien de fois des collègues nous ont appelés parce qu’un de leurs proches était dénutri, alors que deux mois plus tôt, lorsque nous étions allés les voir pour les sensibiliser à la question, ils pensaient que la dénutrition n’était qu’un problème marginal ! Lorsque cette pathologie commence à nous toucher de près, nous prenons conscience de la gravité de son enjeu. Les infirmières y sont plus sensibles que les médecins parce qu’elles sont plus proches des patients.
CLD : Pensez-vous qu’il soit nécessaire de réinscrire la lutte contre la dénutrition dans le PNNS ?
JCD : Vous prêchez un convaincu. La dénutrition a eu une trop petite place dans le dernier PNNS, alors qu’il y a plus de 2 millions de patients touchés en France. Il y a d’ailleurs également une difficulté pour l’obésité, car cette pathologie qui touche encore plus de patients (plus de 6 millions, soit deux fois plus que le diabète), n’a plus de plan Obésité identifié comme tel. Les questions nutritionnelles semblent effrayer les pouvoirs publics. Il y a bien entendu des raisons financières, car lutter contre la dénutrition et l’obésité a un coût important, mais les coûts induits sont bien supérieurs. Être dénutri, par exemple, c’est avoir une autonomie et une qualité de vie réduites, avoir davantage de risques d’infection ou de fracture osseuse, consommer plus de médicaments, être plus souvent hospitalisé, etc. Nous avons trop souvent l’impression, lorsque nous abordons les problèmes nutritionnels, d’être face à un mur d’incompréhension, et quand nous bataillons pour faire tomber ce mur, c’est souvent un échec douloureux. Il faut se demander si, dans le mur, il y a un endroit qui est plus mou, plus perméable… Et ça, c’est à un collectif comme celui-ci de le découvrir.