L’autre est celui qui nous définit et donne un sens à notre existence

Serge Guérin

Sociologue, directeur du master Directeur des établissements de santé à l’Institut des hautes études économiques et commerciales (Inseec), spécialiste des théories du care dont il propose un prolongement avec la notion d’« accompagnement bienveillant ».

Serge Guérin

CLD : Qu’est-ce que le care ? En quoi peut-il contribuer à lutter contre la dénutrition ?

Serge Guérin : Le mot care renvoie à la notion de « soin » au sens de souci de l’autre ou d’attention à l’autre. Prendre soin de l’autre, c’est favoriser son action et renforcer son autonomie afin de le rendre auteur de son propre parcours.

Aborder la question de la dénutrition sous cet angle, c’est donc raisonner en termes de responsabilisation et d’accompagnement des personnes, et non d’obligations, de normes et de morale. C’est considérer que se nourrir est d’abord une activité sociale, qu’elle a du sens dans une perspective de partage et qu’il est beaucoup plus efficace de faire « avec » les seniors qu’« à leur place » ou « pour » eux.

C’est repenser notre rapport à la nourriture en prenant soin d’y inclure l’autre, car c’est lui qui nous définit et donne un sens à notre existence. Se nourrir, prendre un repas, c’est aussi faire société, entrer en relation avec l’autre, mais également avec celles et ceux qui ont préparé le repas, produit les aliments, inventé des recettes.

On parle beaucoup du « bien vieillir », mais on oublie trop souvent le « bien nourrir », c’est-à-dire le plaisir, le goût, la rencontre.

CLD : Vous avez lancé un appel pour la reconnaissance des aidants. En quoi cette question vous tient-elle à cœur ?

SG : Ce dont témoignent les aidants, comme fait social et sujet politique, c’est qu’il existe une solidarité de proximité fondée sur l’engagement bénévole, qui résiste à cette tendance extrêmement lourde d’anomie sociale, de défiance généralisée et de concurrence entre les plus fragiles.

En militant pour la reconnaissance de ces millions d’hommes et de femmes engagés dans l’accompagnement d’un proche, je voulais faire sortir de l’indifférence et de l’anonymat cette société informelle de la sollicitude et du soin apporté à l’autre.

La loi d’Adaptation de la société au vieillissement leur accorde aujourd’hui un certain nombre de droits et prévoit des financements spécifiques, par exemple pour l’ouverture d’un droit au répit. C’est une avancée essentielle lorsqu’on sait qu’un tiers des aidants décèdent avant la personne qu’ils soutiennent.

CLD : Vous plaidez pour un « ministère de l’Allongement de la vie et de l’Intergénération » plutôt qu’un ministère des Personnes âgées placé sous la coupe du ministre de la Santé. Pourquoi ?

SG : Vieillir, ce n’est pas seulement le déclin, la maladie, l’inactivité; c’est aussi créer, désirer, pratiquer, consommer, agir.

Au nom de quoi la question des seniors devrait-elle se réduire à celle de la santé?

Une personne à la retraite constitue un formidable levier de transformation économique, social et culturel. Par son engagement dans le tissu associatif ou local, elle demeure un acteur social même lorsqu’elle cesse d’être considérée économiquement comme un actif. C’est pourquoi la question de l’intergénération est centrale.

L’intergénération, c’est l’échange, la transmission, les racines. Si nous voulons réussir à relever le défi démographique qui nous est lancé, il est essentiel de modifier notre regard sur l’âge et de créer une synergie entre l’ensemble des acteurs qui composent ce corps indivisible qu’est la société. Et cela passe par aussi par les mots.

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