Comment le portage de repas permet de lutter contre la dénutrition

« La dénutrition est un phénomène  pervers. Au début, c’est peu visible puis le mal progresse et arrivée à un certain stade et un certain âge, revenir en arrière est très compliqué.  » 

« D’une façon générale la question « As tu mangé ce midi ? » n’est pas posée Manger semble être une évidence. « 

« Lorsqu’on voit une personne âgée flotter dans ses vêtements et ne plus tenir debout c’est là que l’on s’inquiète. « 

Jérôme Saglier est le Président Fondateur de Appétits et Associés, une entreprise spécialistes du portage de repas à domicile pour les personnes âgées dépendantes et les adultes handicapés qu’il a créée en 2007.

Auparavant, il a travaillé pendant vingt ans dans l’alimentaire et la supply chain pour un groupe multinational.

Délégué départemental de la Fedesap pour le Val-de-Marne, il y a fondé la commission nationale nutrition et portage de repas à domicile qu’il préside.

Enfin, Jérôme Saglier a été le proche aidant de ses parents pendant vingt ans. Il est adhérent au Collectif de lutte contre la dénutrition depuis 2016.

Dans l’entretien qu’il nous a accordé, ce grand professionnel de la nutrition au service des personnes âgées présente avec passion un métier mal connu et essentiel à la lutte contre la dénutrition : le portage de repas.

À qui s’adresse le portage de repas

Jérôme Saglier : Le portage de repas à domicile tel qu’Appétits et Associés le pratique est destiné à une clientèle exclusivement à domicile qui ne peut plus ou ne veut pas cuisiner. 

C’est une cuisine de tous les jours, équilibrée, saine, diététique et préparée à partir de produits frais.

Nous servons principalement des personnes âgées dépendantes et/ou handicapées ainsi que des personnes qui doivent suivre un régime alimentaire spécifique: sans sel, sans sucre, mixé, etc.

Nous avons une clientèle fidèle et régulière dont l’âge moyen est de 87 ans. 

Notre cliente la plus âgée a 102 ans. 

Nous avons aussi de jeunes retraités qui n’ont pas envie de cuisiner ou des personnes plus jeunes immobilisées temporairement après une hospitalisation. 

Pour quelle raison ceux qui n’ont pas envie de cuisiner vous choisissent-ils ?

Jérôme Saglier : C’est une situation que nous rencontrons régulièrement avec des couples dont le conjoint qui cuisinait disparaît. Le conjoint survivant ne sachant pas ou ne voulant pas cuisiner fait appel à nous. 

Nous avons aussi des actifs qui rentrent d’hospitalisation suite à une opération qui les immobilise et qui utilisent nos prestations temporairement.

Ces clients ne se considèrent pas comme dépendants au sens où on l’entend habituellement.

Bien souvent avant d’avoir recours à nos services, certains clients ont utilisé des solutions intermédiaires comme le restaurant du quartier, la livraison de course, des plats surgelés. Mais tout ceci ne garantit pas des repas équilibrés et variés dans la durée 

Que recherchent vos clients en venant chez Appétits & Associés ?

Jérôme Saglier : Nos clients sont exigeants. Ils veulent bien entendu des repas de qualité et aussi du confort et du plaisir. Le plaisir c’est aussi avoir la liberté de choisir ce qu’ils vont manger. 

Nos repas comprennent chaque jour jusqu’à 9 choix différents pour chacun des composants (entrée, plat, fromage et dessert). Cela permet de respecter les attentes et habitudes alimentaires de chacun.

Ces repas sont déclinés en menus de régimes médicalisés et nous proposons également plusieurs textures modifiées pour répondre à des problèmes de déglutition ou de mastication.

Lire aussi : Comprendre les textures modifiées avec Nutrisens

En synthèse, si nos clients nous font confiance, c’est parce que nous leur proposons  d’une part une alimentation  variée et de qualité et d’autre part une prestation de confort avec des interlocuteurs compétents, réguliers, conviviaux et des créneaux de livraison précis et respectés. 

Quel est le rôle social de vos « correspondants livreur » ? 

Jérôme Saglier : Nous tissons des liens avec nos clients. Le passage du  correspondant livreur est un moment souvent attendu pour le repas, mais aussi pour le contact qui se noue. Nos clients souhaitent être rassurés avec des interlocuteurs familiers. Nos livreurs assurent une veille sociale active, prennent en compte les attentes et alertent les proche en cas de difficultés.

Nous sommes aussi en lien permanent avec les autres professionnels intervenants au domicile du monde sanitaires ou social.

Le portage de repas a-t-il évolué au cours du temps? 

Jérôme Saglier : Le portage de repas à domicile a beaucoup évolué. Initialement, il était essentiellement presté par les communes. Aujourd’hui, de nouveaux acteurs sont arrivés avec une offre plus diversifiée et innovante. Cela a attiré une clientèle ayant toujours le même niveau de dépendance, mais plus exigeante. 

Le choix du portage de repas à domicile est souvent une décision mûrement réfléchie. Ce n’est pas un acte d’achat d’impulsion. C’est souvent une décision importante dans l’avancée de la dépendance.

Qui sont vos prescripteurs ? 

Jérôme Saglier : La moitié de nos nouveaux clients arrivent par le bouche-à-oreille tandis que les autres nous sont envoyés par des professionnels de l’univers médico-social. Nous sommes également contactés après recommandation du médecin traitant et des assistantes sociales hospitalières, le kinésithérapeute, le podologue : tout l’écosystème autour du domicile. 

Le rôle des aidants familiaux est  aussi prépondérant.

Les médecins et les professionnels du médico-social sont-ils des prescripteurs ?

Jérôme Saglier : Oui, mais l’intervention de ces professionnels est limitée par le temps.Ils se focalisent avant tout sur leur mission première et souvent constatent la dénutrition qu’une fois que les symptômes sont avérés.

Les actions de prévention sont peu fréquentes.

La nutrition occupe une faible part dans les formations des professionnels du domicile : du médecin généraliste au kiné. Pourtant, 40 % des personnes âgées de plus de 70 ans hospitalisées le sont pour des causes directes ou indirectes liées à la dénutrition. 

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Que manque-t-il aux professionnels de santé pour être de meilleurs prescripteurs ?

Jérôme Saglier : Du temps pour effectuer leur mission plus en profondeur. Nos territoires manquent de médecins.

Une formation continue sur la nutrition tout au long de leur parcours les sensibiliseraient à la prévention nutritionnelle.

Il serait plus simple et moins couteux pour nos finances publiques de prévenir que d’essayer de réparer

Quels sont les faits générateurs de la dénutrition, pour les personnes âgées vivant chez elles ? 

Jérôme Saglier : La dénutrition n’est pas une maladie. C’est la conséquence de facteurs physiques, psychiques et sociaux comme la perte d’un conjoint, une dépression, un problème dentaire, une surmédication ou un cancer. Il faut donc comprendre les causes et le contexte.

L’idée est d’avant tout d’avoir de l’appétit et donc du plaisir à manger.  

Mettre son couvert, manger à heure fixe, respecter ses habitudes alimentaires sont des rituels simples qui permettent de maintenir l’appétit. 

Avec Appétits & Associés, nous travaillons autour de ce rituel.

Nous sommes attendus.

Porter un repas  répond d’une part à un besoin physiologique pour s’alimenter mais comprend aussi une dimension psychologique basée la qualité du service, le lien social, la sécurité qu’apporte la visite et le choix. Pouvoir choisir ce que l’on veut manger permet de favoriser l’autonomie de la personne.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce lien qui se crée entre vos clients et vos correspondants livreur ? 

Jérôme Saglier : Le portage de repas n’est pas un acte neutre. Lors de la mise en place, on passe en moyenne une heure chez le client.

Nous devons comprendre l’environnement social, amical, relationnel de la personne.

Nous allons fixer un horaire et le respecter.

Tous les membres de l’équipe ont une histoire personnelle avec la dépendance et l’alimentation. Cel aa été mon créneau pour embaucher.

Notre plus ancien salarié a 12 ans d’ancienneté, soit 1 an de moins que celle de l’entreprise.

Un client a toujours le même interlocuteur ce qui favorise la création d’une vraie relation. Nous recevons de vrais beaux témoignages et des remerciements.

Êtes-vous concurrencés par ces services de livraison à domicile  comme Deliveroo ou Frichti?

Jérôme Saglier : Oui et non.

Oui, car quand une personne âgée a recours à un tel service de livraison c’est un client que nous ne livrons pas. 

Non, car nous ne faisons pas le même métier et nous ne proposons pas les mêmes prestations.

Les services de livraison ne sont pas en capacité d’attribuer un seul livreur à un client, d’alerter les proches, de vérifier le contenu du réfrigérateur, de gérer les clefs d’accès des domiciles. La mise en place d’un portage de repas chez un nouveau client c’est environs heure de présentation à domicile, d’échanges pour comprendre le contexte.

Ces entreprises livrent des sites et les relations sont dématérialisées

Ces offres correspondent aux attentes d’utilisateurs occasionnels.Il est compliqué d’avoir une alimentation équilibrés tout au long de l’année. 

Notre prestation au moins dans sa dimension sociale nécessite une organisation, un suivi et un personnel spécifiquement formé. C’est une relation qui se construit sur le long terme.Le portage de repas à domicile est une activité entrant dans le champ des services à la personne, elle doit juridiquement s’exercer exclusivement au domicile de particuliers.  

Comment lutter efficacement contre la dénutrition ?

Jérôme Saglier : Deux millions  de personnes sont actuellement en situation de dénutrition en France.

Rappelons-nous que la dénutrition n’est pas une maladie. Elle est la résultante de causes multiples  d’ordre physique, psychique ou social. 

Si nous ne pouvons apporter des réponses à toutes les situations, des solutions simples et peu couteuses au regard des enjeux de santé et de finances publiques peuvent être facilement mises en place.

Dans le cadre du maintien à domicile qui me concerne plus particulièrement nous devons :

  • Informer et former les individus et professionnels du domicile au rôle de l’alimentation et aux conséquences de la dénutrition.
  • Mettre en place une politique de prévention avec une veille nutritionnelle régulière reposant sur une coordination des acteurs du domicile (kinésithérapeute, médecin, infirmière, AVS, porteur de repas.) et des pratiques simples mais efficaces comme un suivi régulier du poids, le calcul de l’Indice de Masse Corporel (IMC) ou l’utilisation d’une grille d’analyse simple basée sur l’observation  
  • Maintenir l’appétit en favorisant le plaisir de manger avec un cadre adapté, en établissant et en maintenant des liens sociaux et en apportant des repas qui répondent aux habitudes et aux attentes de la personne

Appétits et Associés est adhérent au collectif de lutte contre la dénutrition depuis 2016, qu’est-ce qui  vous a motivé à nous rejoindre ? 

Jérôme Saglier : J’ai intégré le collectif en 2016 et j’ai été enthousiasmé de rencontrer une équipe de spécialistes bénévoles  très motivés. Le collectif permet une réflexion en profondeur débouchant sur des actions concrètes pour lutter contre la dénutrition.

Lire aussi : Covid-19, trois recommandations pour éviter la dénutrition

 Je représente également notre fédération professionnelle la Fedesap au sein du collectif et préside dans la Fedesap la commission « Nutrition et Portage de Repas à domicile ».

Les interactions entre cette commission et le collectif alimentent nos réflexions.et nos pratiques professionnelles pour favoriser une nutrition de qualité dans un processus de maintien à domicile.

Le collectif organise en 2020 la semaine nationale de la dénutrition, avez-vous des projets ?

Jérôme Saglier : Beaucoup de pistes de réflexion devraient aboutir prochainement. C’est une formidable opportunité pour sensibiliser l’ensemble des acteurs.

Nous sommes en capacité d’apporter des solutions simples et peu couteuses à mettre en place en regard des enjeux de santé et finances publiques  

La Fedesap sera mobilisée, mettra en avant ses bonnes pratiques et relayera au travers de ses structures adhérentes les messages du collectif pour contribuer à endiguer la dénutrition.

La semaine de la dénutrition

Le collectif de lutte contre la dénutrition organise la première semaine nationale de la dénutrition du 12 au 19 novembre 2020, en partenariat avec la DGS, le Programme National Nutrition Santé et la Mutualité Française.