La dépression conduit à la dénutrition

Nathalie Bailly

Enseignante-chercheuse, maître de conférences en psychologie sociale et psychologie du vieillissement et membre du laboratoire Psychologie des âges de la vie de l’université François-Rabelais de Tours (37).

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Quel est le rôle du psychique dans la dénutrition, notamment chez les personnes âgées ?

Nathalie Bailly : Les personnes dépressives perdent plaisir à effectuer leurs activités quotidiennes, dont celle de cuisiner et de manger. Elles éprouvent donc moins le besoin de s’alimenter. Or on constate que plus on éprouve de plaisir à manger, meilleur est notre statut nutritionnel et que celui-ci permet de mieux lutter contre la dépression. Il existe donc un lien de causalité entre dépression et alimentation. Toute la question est de savoir à quoi nous devons nous attaquer en priorité : la dépression ou la dénutrition ? La difficulté est ensuite d’identifier les personnes concernées, car en vieillissant on perd le réflexe de dire que ça ne va pas. On estime ainsi que la dépression touche 10 % à 15 % des plus de 65 ans, mais nous savons que ce chiffre est bien inférieur à la réalité, notamment en Ehpad.

CLD : Les malades dénutris ont-ils encore envie de manger ?

NB : Le plaisir de manger ne disparaît pas avec l’âge, y compris chez les personnes dénutries, c’est la satisfaction produite par l’alimentation (par exemple l’aspect esthétique des aliments, l’altération du goût, les difficultés masticatoires) qui disparaît. Ce paradoxe est criant en Ehpad où le refus de manger représente souvent la seule manière de contrôler un environnement sur lequel la personne n’a plus de prise.

CLD : Y a-t-il des différences de traitement à adopter entre les personnes âgées dénutries ?

NB : Le profil des personnes âgées qui résident en Ehpad a énormément évolué ces dernières années. Le public vieillit, et avec l’avancée en âge apparaissent des pathologies qu’on ne rencontrait pas autrefois. C’est le cas de la maladie d’Alzheimer. Il est difficile de faire éprouver du plaisir à quelqu’un quand il ne parle pas et qu’il n’est pas en mesure d’exprimer ses volontés. De plus, la perception du temps qui passe est différente, ce qui perturbe l’horloge biologique et contribue ainsi au processus de dénutrition.

Pour les personnes âgées vivant domicile, le processus de dénutrition est moins lié à la dépendance qu’au système de délégation alimentaire qu’elle impose : le portage de repas pose le problème du rapport à la nourriture et de l’environnement de l’acte alimentaire. Déléguer, c’est rentrer dans la spirale de la dénutrition : le plaisir disparaît et l’acte alimentaire est perçu comme un médicament que l’on doit prendre. Il y a donc un équilibre à trouver, en fonction du contexte et du lieu de vie, entre les solutions qui nous sont offertes.

CLD : Que peut apporter la psychologie dans la lutte contre la dénutrition ?

NB : Nous cherchons actuellement à identifier des profils alimentaires permettant de savoir qui mange quoi, en quelle quantité et pourquoi. Cette question est centrale à la fois pour les hôpitaux et les Ehpad mais aussi pour les aidants qui interviennent à domicile et tendent naturellement à projeter leur culture et leurs représentations sur leur proche. Or on ne peut pas lutter contre la dénutrition uniquement avec un corpus de logique subjective. Notre travail consiste précisément à faire émerger des logiques objectives et à combattre les représentations qui rendent parfois la démarche des aidants contre-productive.