La dénutrition, un premier pas vers la dépendance
Joseph Krummenacker
Président de la Fédération nationale des associations et amis des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef) qui a pour objectif la mise en œuvre d’un accompagnement de qualité de la personne âgée fragilisée, en concertation avec les pouvoirs publics.
Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Vous travaillez en étroite collaboration avec plusieurs fédérations nationales de directeurs d’établissements. Constatez-vous un manque de prise en charge des personnes dénutries en Ehpad ?
Joseph Krumenacker : Ce constat est flagrant et le principe de financement des Ehpad explique en partie ce problème. Historiquement, les dotations se répartissent entre trois postes de dépenses : le soin, financé par le ministère de la Santé via les agences régionales de santé (ARS) ; la dépendance, subventionnée par le conseil départemental, qui lui-même évalue le niveau de perte d’autonomie – ce qui laisse quelque peu songeur quant à la transparence de la procédure d’attribution ; et l’hébergement, financé par l’usager et ses proches à la fin de chaque mois. Dans la mesure où la nutrition n’est pas considérée comme un soin, le budget de l’alimentation est mécaniquement répercuté sur celui de l’hébergement. Dans un contexte de réduction des dotations départementales, ce système de classification génère une situation extrêmement problématique pour les usagers et leurs proches puisqu’il leur fait porter la charge financière non seulement de la lutte contre la dénutrition, mais également de la dépendance qui en est précisément une conséquence.
CLD : Quelles incidences ce système de financement a-t-il sur la dénutrition ?
JK : En considérant que l’alimentation est un loisir et non un soin, on creuse le coût de la dénutrition et on crée de la dépendance. Les conséquences sont terrifiantes et doivent inviter les pouvoirs publics à ouvrir les yeux sur le drame qui se joue au cœur des Ehpad puisqu’il ne faut pas plus de trois mois pour qu’une personne relativement autonome qui rentre en institution ne devienne dépendante.
Le paradoxe est cruel, mais il l’est doublement pour ceux qui n’ont pas les moyens d’accéder à ces établissements. Nous savons que la pauvreté est un facteur de dénutrition non seulement parce que l’on ne peut pas se nourrir correctement, mais parce que la qualité de vie et l’environnement social sont des éléments essentiels dans la lutte contre la dénutrition. Or si les Ehpad ne jouent pas le rôle rempart contre l’isolement et la dénutrition, qui le fera lorsque les enfants sont trop éloignés ou qu’ils n’existent pas ? En ne traitant pas les personnes dénutries ou malnutries, en ne les accompagnant pas lorsqu’elles prennent leurs repas ou encore en n’investissant pas dans la nutrition spécialisée ou de l’alimentation de qualité, on se contente d’accélérer la fin de vie tout en prétendant la retarder. Est-ce ce que nous voulons pour nos aînés ? J’invite chacun à se poser la question et à se mobiliser pour que les Ehpad soient demain de véritables lieux de vie et de soin et non des mouroirs où l’on s’éteint à petit feu.