La formation et la transprofessionnalité sont les outils de demain

John Joseph Baranes

Chirurgien-dentiste, coordonnateur et responsable scientifique des actions bucco-dentaires du réseau gérontologique interétablissements et services du Val-d’Oise (Régies 95), attaché d’enseignement à l’université Paris Descartes (75), vice-président de l’Ordre des chirurgiens-dentistes de Paris, membre associé national de l’Académie nationale de chirurgie dentaire.

Le Collectif de lutte contre la dénutrition : Vous avez mis en place un dispositif de prévention bucco-dentaire pour les personnes âgées vivant en Ehpad. Quelle est la situation sanitaire dans ces établissements ?

John Joseph Baranes : Le constat est alarmant. La majorité des résidents vivant en institution présentent un état bucco-dentaire dégradé, avec des appareillages inadaptés, une persistance de fractures et de caries, des blessures et des ulcérations et une hygiène très défavorable, à l’origine d’un inconfort et donc d’une altération du plaisir de manger. Or aucune proximité de soins n’est prévue pour ces personnes qui connaissent pourtant un grand nombre de difficultés de déplacement. S’ensuit une forme de résignation qui va être responsable d’une détérioration de l’estime de soi et d’une baisse des apports alimentaires, donc d’un glissement progressif vers une dénutrition. J’ai donc mis en place un programme qui se concentre sur la prévention et la formation en Ehpad, ayant pour thème le « bien vieillir, bien manger, bien sourire » avec un référent formateur au centre du dispositif.

CLD : En quoi la formation permet-elle de lutter contre la dénutrition ?

JJB : Nous avons réalisé une étude-action d’où il ressort que l’on peut améliorer la prise alimentaire des patients lorsqu’on forme l’ensemble des professionnels de santé aux enjeux de la santé bucco-dentaire. L’objectif est de mettre en place une véritable culture de santé orale dans les établissements qui permettent au chirurgien-dentiste d’obtenir des informations précises sur le patient et donc de faciliter son intervention. Ce n’est qu’à ce prix là que les chirurgiens dentistes se déplaceront en Ehpad, car s’ils ne le font pas actuellement, c’est moins par manque de volonté que de temps. Nous les sensibilisons également au juste soin. Nous apprenons à faire beaucoup avec peu. Tout doit être prémédité afin d’avoir une stratégie d’intervention qui offre le meilleur bénéfice-risque : très peu d’actes, des réévaluations rapides et à moindre coût.

CLD : Pourquoi cette expérience n’est-elle pas généralisée ?

JJB : Le dentaire est tabou, car il dit ce que l’on cherche bien souvent à cacher. Or penser qu’on va pouvoir parler d’alimentation aux gens sans parler de la bouche est une aberration. Mais les tabous ne sont pas uniquement du côté des patients. Se pencher sur la bouche d’une personne âgée, c’est comme tendre un miroir qui vous renvoie l’image de votre propre vieillissement.

CLD : Êtes-vous optimiste concernant la lutte contre la dénutrition ?

JJB : On sait aujourd’hui que le modèle de Régies 95 fonctionne et ne coûte pas cher. L’ARS d’île-de-France a reconnu l’efficacité de notre réseau puisqu’elle l’a labellisé « Droits des usagers de la santé » et l’a élargi à plusieurs départements franciliens. Elle nous aide à essaimer nos formations sur le territoire francilien, et nous avons créé des liens avec les universités de Toulouse (31), Nancy (54) et Bordeaux (33). La généralisation est en marche, il suffit de se mobiliser au nom du bon sens, et je ne vois pas ce qui pourrait arrêter ce mouvement. Une fois que la santé bucco-dentaire va, on commence à parler des goûts de l’enfance, des couleurs, etc., et le spectre de la dénutrition s’éloigne naturellement.