L’alimentation est un enjeu de soin

François Rullier

Membre de l’association Le Lien, dont le cœur de mission est de défendre les victimes d’accidents médicaux. François Rullier siège au Conseil national de l’alimentation (CNA) au nom du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

CLD : La dénutrition touche-t-elle l’ensemble des associations du Ciss ?

François Rullier : Le risque de dénutrition se pose pour toutes les personnes hospitalisées sur une durée relativement longue, les personnes âgées et les patients atteints d’une maladie chronique, y compris dans le domaine de la santé mentale. Elle touche donc l’ensemble des associations que représente le Ciss.

CLD : Vous participez au groupe de travail « Alimentation en milieu hospitalier » du CNA au nom du Ciss. Quelle place y occupe la dénutrition ?

FR : La dénutrition s’impose aujourd’hui comme le sujet central de nos discussions. Ce groupe de travail a été pour nous une opportunité exceptionnelle de mieux appréhender les enjeux de la nutrition et de la dénutrition en milieu hospitalier. Celle-ci a été permise par une écoute active, constructive et positive des interventions, de la part de l’ensemble des participants. Nous sommes partis de trois constats : 1) les hôpitaux ont des contraintes économiques fortes, qui ne doivent pas devenir des alibis pour ne rien changer; 2) le corporatisme demeure extrêmement prégnant à l’hôpital aussi bien chez les soignants, que les personnels des cuisines, les diététiciens ou les économistes. Et malgré les progrès enregistrés dans ces différents métiers, l’alimentation demeure toujours insatisfaisante pour les patients; 3) l’alimentation a toujours été, et est encore considérée comme une « prestation hôtelière » et non comme un soin. Or c’est pourtant un élément essentiel du processus de guérison, qui concourt à redonner le moral à la personne hospitalisée afin de lui permettre de reprendre des forces dans son combat contre la maladie ou après une intervention chirurgicale. En caricaturant, on peut dire que l’hôpital sait traiter la maladie, mais qu’il ne sait pas soigner les patients. Ainsi, l’enveloppe allouée aujourd’hui à l’alimentation est dérisoire au regard de celle consacrée aux médicaments, et dès qu’il y a des économies à faire, on les fait sur le repas.

CLD : Quelles solutions concrètes pourraient selon vous contribuer à améliorer la situation des malades dénutris ?

FR : Nous formulons trois recommandations. La première est de respecter les attentes et les choix du malade et de redonner au repas sa dimension sacrée, par exemple : distinguer le temps dédié au repas de celui des obligations de soins, adapter les horaires de passage du personnel d’entretien afin de limiter les bruits parasites et l’odeur de produits ménagers, ou encore prendre en compte les besoins physiques d’aide à la prise de repas en s’assurant qu’il est accessible pour le patient. Si l’opercule n’est pas ouvert, c’est que la personne se trouve dans l’incapacité de l’ouvrir ou qu’elle ne peut pas manger seule. Ainsi, le fait qu’un patient ne touche pas à son repas doit être un signe d’alerte qui doit conduire à s’interroger sur ce genre de considérations pratiques. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence au xxie siècle des horaires de repas tels qu’ils sont pratiqués. Ne serait-il pas envisageable de les rapprocher davantage de ceux correspondant à la vie quotidienne ?
La seconde est de tout mettre en œuvre pour revenir au plaisir de manger, malgré les contraintes de la maladie, des soins, du lieu. Sans se réfugier derrière les objections financières ou techniques, il convient de simplifier tout ce qui peut l’être, à commencer par les régimes alimentaires contraignants qui s’avèrent souvent contre-productifs. L’essentiel est de bien nourrir le patient et de lui apporter du plaisir, un réconfort physique et moral par l’alimentation, ce qui ne coûte pas nécessairement beaucoup plus cher. Il a été démontré par exemple qu’une augmentation du prix du repas de quelques centimes permet d’accroître le plaisir chez le patient, de le faire manger davantage, et donc de réduire la durée et le coût de son hospitalisation.
La troisième est de distinguer l’hospitalisation de longue durée, où l’alimentation doit constituer un soin à part entière, de l’hospitalisation sur une journée (ambulatoire ou chronique) pour laquelle l’alimentation apparaît davantage comme un service. Dans le cas d’une hospitalisation dans la durée, la tradition « à la française » qui consiste à servir le repas dans la chambre, le plus souvent au lit, n’est pas toujours adaptée.

CLD : Quel rôle les soignants peuvent-ils jouer au quotidien pour faire bouger les choses ?

FR : Une lutte efficace contre la dénutrition passe nécessairement par une approche globale et par la sensibilisation de l’ensemble des acteurs de la prise en soins, afin de les aider à mieux comprendre le patient, ses besoins, ses attentes en ce lieu où il n’a, en règle générale, pas choisi d’être. Valoriser et respecter le travail de chacun autour du repas devrait amener les personnels hospitaliers à changer de posture (ou d’attitude) par rapport au repas, et à prendre en compte ce moment comme un soin qui exige infiniment d’humanité. La relation de soin doit se nourrir de cette forme d’amour réciproque dont chacun est, à sa manière, le sujet.