14 propositions pour un plan national de lutte contre la dénutrition

A l’occasion de l’élection présidentielle et des élections législatives, le Collectif de lutte
contre la dénutrition interpelle les candidats et leur demande de s’engager
.

1. Renforcer le suivi de l’état bucco-dentaire : réalisation de bilan de santé orale à l’âge de la retraite et à l’admission dans des établissements pour l’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD).

Une bonne santé bucco-dentaire est un prérequis pour se nourrir correctement, et l’état bucco-dentaire a tendance à se dégrader avec l’âge. Ainsi, il existe un lien étroit entre le délabrement dentaire et l’apparition d’une dénutrition.
En ce sens, nous demandons à ce que ce bilan de santé orale soit gratuit et à ce que les soins minimaux
indispensables à une mastication efficace et non douloureuse soient également remboursés intégralement dans le cadre de référentiels de justes soins.

L’état bucco-dentaire des populations à risques pourra également être favorisé via :
• Une campagne d’information quant à l’importance d’une bonne hygiène bucco-dentaire à destination des aidants familiaux et professionnels des personnes âgées, handicapées ou vulnérables.
• Un bilan de Santé bucco-dentaire inclus dans le bilan de pré-admission dans un établissement (hôpital, EHPAD, MAS, FAM…).
Pour être certain que l’hygiène est conforme aux recommandations et aux bonnes pratiques, nous demandons la mise en place des formations avec l’application de référentiels, de protocoles et l’évaluation de leur mise en place.

2. Mettre en place un site d’information grand public centré sur la nutrition des malades et des personnes âgées pour éviter les erreurs et combattre les idées reçues.

La nutrition est un domaine à la fois médical et sociétal où les messages les plus divers circulent et la population est souvent mal informée voire désinformée. Notamment, les messages de prévention des maladies de surcharge (obésité, diabète) sont parfois mal interprétés et mis en œuvre chez des malades pour lesquels ils sont inutiles et parfois délétères.
La mise en place d’un tel site d’information permettrait d’apporter une information validée par les sociétés savantes, sous l’égide du ministère de la santé.


Les points prioritaires (mais non exhaustifs) à y aborder sont les suivants :
• les risques du végétalisme chez le nourrisson ;
• les recommandations actuelles sur certaines pratiques alimentaires durant le cancer ;
• les risques des régimes restrictifs prolongés chez la personne âgée ;
• les besoins protéiques augmentés chez les seniors

3. Repenser l’offre nutritionnelle pour les malades et les personnes âgées, notamment en
établissements de soin et en EHPAD.

A ce jour, l’alimentation dans les établissements de soin, les EHPAD et lors du portage des repas à domicile est régie par les textes de la restauration collective, portant sur l’hygiène, la variété et les grammages. Elle n’est pas pensée en termes de besoins pour des malades (que ce soit à la phase aiguë de la maladie ou durant la convalescence), ou pour les personnes âgées. Les repas ne font pas l’objet d’un cahier des charges garantissant un seuil de calories et de protéines.

Dans un contexte de restriction budgétaire, et en l’absence de cahier des charges précis et adapté à la situation, la tentation est grande de considérer l’alimentation dans les établissements de soin comme une variable d’ajustement financier aboutissant à une offre alimentaire souvent inférieure aux besoins nutritionnels des patients. Actuellement, les enveloppes financières consacrées à l’achat des denrées alimentaires est d’environ 4 euros à l’hôpital et 4,50 euros en EHPAD, par jour (soit 30% du coût alimentation, qui intègre également les dépenses de personnel et de structure), ce qui ne permet pas toujours de proposer des plats de qualité gustative et de densité protéino-calorique suffisantes.
L’enjeu du plaisir de l’alimentation est particulièrement prégnant pour les personnes âgées. Le rapport de Dominique Libault en 2019 intitulé « Grand âge et autonomie » l’a d’ailleurs identifié comme un levier incontournable de la prévention. Il rejoint souvent les problématiques de lutte contre l’isolement social des personnes âgées, le repas et sa préparation doivent être des moments de convivialité.

Nous proposons en ce sens :
• L’instauration d’un cahier des charges nutritionnel avec des seuils minimaux en calories et en protéines;
• Le suivi de la conformité de l’offre par des analyses nutritionnelles régulières effectuées par un laboratoire agréé.
• L’augmentation du budget alloué à l’achat des denrées alimentaires afin d’atteindre 6 euros par jour (et financement éventuel par les dotations soins pour les établissements médico-sociaux)

4. Repenser l’organisation des repas dans les établissements

La durée du jeûne nocturne (délai séparant le dîner du petit déjeuner), à l’hôpital ou en institution, est souvent supérieure à 12 heures, atteignant parfois 15 heures, ce qui est délétère chez les malades et les personnes âgées.
Par ailleurs, les aides techniques (contenants et couverts adaptés) et humaines (personnel suffisant), ainsi que les propositions culinaires spécifiques (manger main) sont fréquemment insuffisantes, diminuant les apports alimentaires sans que cela ne soit dû à une anorexie. Les raisons de ce constat sont organisationnelles et financières.


Pour faire face à cela, nous proposons :
• La limitation, autant que faire se peut, du jeûne nocturne à 12 h maximum. Si le repas du soir ne peut pas être décalé pour des raisons organisationnelles, l’imposition une collation au moins deux heures après le dîner.
• L’imposition d’une démarche d’information explicitant la politique de l’établissement en la matière pour les personnes ayant besoin d’une aide à l’alimentation.
• Le développement chaque fois que cela est possible d’une alimentation « socialisée » dans des locaux adaptés.
• L’organisation d’une alimentation choisie par les patients avec la planification à l’avance du temps de repas et la proposition de plats de substitution accessibles au moment de celui-ci.
• Le dégagement d’un temps suffisant, 45 minutes minimum, dédié au repas.

5. Encadrer la réalisation de régimes chez les patients à risque par un médecin nutritionniste.

Dans de nombreuses pathologies, tant en préventif qu’en curatif, des régimes sont prescrits. Leur efficacité n’est pas toujours démontrée et leurs effets indésirables sont rarement pris en compte. Ceux-ci peuvent alors favoriser l’apparition de situations de dénutrition. Nous demandons ainsi que tout régime de longue durée chez un patient poly-pathologique ou souffrant d’une pathologie chronique sévère soit validé en amont par un médecin nutritionniste.

6. Promouvoir l’activité physique adaptée : mise en place d’un programme d’informations et prise en charge par l’assurance-maladie.


Maintenir une bonne masse et force musculaire, notamment pour prévenir la sarcopénie, ne peut se concevoir sans une activité physique. Ceci est vrai à tout âge, que l’on soit malade ou non. Mais cette notion est encore peu prise en compte par nos concitoyens. Nous demandons ainsi le lancement d’un programme d’information grand public centré principalement sur les personnes âgées et leurs aidants, expliquant ce qu’est la sarcopénie, et qu’une activité physique adaptée à leur condition physique ou à leur pathologie peut limiter le risque de dépendance.

7. Participer à l’application générale des recommandations de la HAS sur le dépistage de la dénutrition (enfant, adulte, personnes âgées) auprès des professionnels de santé et du personnel médico-social et aidants.

La pesée des patients est un acte de santé qui n’est pas systématiquement effectué, retardant le diagnostic de dénutrition dont un des signes les plus précoces est la perte de poids. Ceci est préjudiciable tant pour connaître l’épidémiologie réelle de la dénutrition dans la communauté, que pour une prise en charge précoce de la dénutrition.


Nous demandons en ce sens :
• L’imposition de la pesée des patients à chaque consultation médicale et lors de chaque hospitalisation et l’inscription de ce paramètre dans le dossier médical partagé du patient (courbe de poids).
• La vérification que les poids inscrits ne sont pas déclaratifs, mais bien le poids réel du patient.
• La favorisation de la pesée dans les officines de pharmacie et dans les cabinets paramédicaux.
• L’acquisition de fauteuils-balances dans les établissements de santé pour peser les personnes qui ne peuvent pas tenir debout.
• D’élargir le vocabulaire du dépistage de la « seule » dénutrition, à la sarcopénie et à la fragilité, pour une prise en charge globale et multimodale

8. Comprendre les causes pour mieux anticiper : création d’un observatoire de la dénutrition

A ce jour, il n’existe pas de registre national de la dénutrition. Les causes de la dénutrition peuvent être médicales ou sociétales et sont souvent mixtes chez la personne âgée. Une expérimentation est en cours visant à créer un registre observationnel de l’état nutritionnel des seniors. L’objectif en serait de mieux quantifier la fréquence de la dénutrition et d’en préciser les causes, en intégrant
des données médicales et socio-économiques.

Nous préconisons en ce sens la création d’un observatoire de la dénutrition en dehors du milieu hospitalier à la fois dans une démarche rétrospective (analyse des items associés à la dénutrition dans les bases de données) et prospective (généralisation d’un registre de l’état nutritionnel des populations).

9. Mobiliser les acteurs du domicile : organiser une campagne d’information sur la vérification des denrées alimentaires présentes à domicile.

Précédant et accompagnant la perte de poids, la diminution des ingesta est très fréquente mais difficile à objectiver chez les personnes vivant seules à domicile. Une étude a parfaitement montré la corrélation entre les ingesta de ces personnes et l’état des denrées alimentaires qu’elles ont à domicile (placard et réfrigérateurs vides, ou au contraire remplis de denrées périmées).

Nous préconisons en ce sens l’organisation d’une campagne d’information ciblant les aidants familiaux et
professionnels des personnes âgées ou handicapées, les sensibilisant sur l’importance de vérifier l’état des denrées alimentaires des personnes qu’elles aident.

10. Prendre en charge la dénutrition en établissement

Au sein des établissements de soins, la prise en charge multiprofessionnelle de la dénutrition n’est pas organisée au niveau national. Huit Unités Transversales de Nutrition Clinique (UTNC) ont été financées transitoirement à titre expérimental. Leur utilité et leur efficacité ont été constatées par la DGOS. Toutefois, leur financement est indirect, basé sur une meilleure valorisation des séjours hospitaliers via la T2A. Malgré cette incitation financière (ou peut-être à cause d’un doute sur sa pérennité), très peu d’hôpitaux (environ 5-7 %) se sont dotés d’une véritable UTNC.

En ce sens, nous proposons :
• L’affirmation de la prise en charge de la dénutrition dans les hôpitaux comme un des indicateurs de qualité.
• L’encouragement de la création d’UTNC en pérennisant leur financement sur des critères d’activité authentifiés par la tenue d’un registre (objectivant le pourcentage de patients hospitalisés pris en charge) adressé annuellement aux tutelles. Pour assurer correctement leur mission, les UTNC devraient
être dotée d’un médecin nutritionniste et de 10 diététiciens pour 600 lits.
• Le recentrement des missions des diététiciens à l’hôpital sur le soin pendant l’hospitalisation, sur les
conseils diététiques au moment de la sortie de l’hôpital, et sur la continuité des soins au retour à domicile.
• Le renforcement de la présence des diététiciens dans les EHPADs, pour leur permettre d’assurer une organisation pluri professionnelle pour maintenir la qualité de l’alimentation et le soin nutritionnels des résidents.
• Le renforcement de la création d’EHPAD plate-forme, centre de ressources sur un territoire, qui serviront de Centre de Référence et prendront en charge des patients à domicile.
• La possible mutualisation des UTNC des petites structures dans le cadre des GHT.

11. Prendre en charge la dénutrition en ville

La correction d’une dénutrition nécessite un temps long, bien supérieur à celui d’une hospitalisation, imposant une organisation de ce soin en dehors des établissements. Les prestataires de soins à domicile sont d’ores et déjà impliqués dans l’activité de nutrition artificielle à domicile. Toutefois, les diététiciens libéraux sont peu nombreux (4500 environ, incluant ceux qui exercent à temps partiel) et leur consultation n’est pas remboursée par la sécurité sociale.
La prise en charge nutritionnelle repose le plus souvent sur la nutrition orale. Si les conseils diététiques, l’enrichissement des repas et les collations ne suffisent pas, les compléments nutritionnels oraux hyperénergétiques hyperprotéiques (CNO HCHP) doivent être prescrits. Les CNO permettent d’augmenter les ingesta totaux, l’appétit et le poids des malades, et diminuent le risque d’hospitalisation, de complications à l’hôpital et de réadmissions non programmées, sans augmenter les coûts de santé totaux (coûts des CNO compris).
De plus, l’activité physique adaptée (APA) est reconnue comme un soin pouvant être prescrit, sans pour autant être remboursée par la sécurité sociale. L’activité physique est indispensable à une bonne alimentation pour stimuler l’appétit et restaurer la masse musculaire.


Nous proposons face à cela :
• L’élargissement des missions des UTNC aux soins post-hospitalisation en collaboration étroite avec les acteurs qualifiés (médecins traitants, prestataires de soin à domicile, médecins nutritionnistes, diététiciens, professionnels de l’APA).
• La prise en charge par la sécurité sociale des soins diététiques et de l’APA. Ce remboursement fera suite à une prescription médicale, sur des critères reconnus de dénutrition. Concernant les diététiciens, ce remboursement sera assujetti à l’obtention d’une qualification authentifiant leur compétence dans le domaine de la nutrition clinique.
• Le maintien des niveaux de remboursement des CNO par l’assurance-maladie.
• Autoriser les diététiciens à prescrire des CNO, avec le même niveau de remboursement que lorsqu’ils sont prescrits par des médecins.
• Le développement de ces recommandations pour la pédiatrie et les principales pathologies entraînant une dénutrition de façon à guider les médecins généralistes dans leur prise en charge selon leur suivi.

12. Redéfinir les missions des Comité de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN)

A l’initiative d’une circulaire DGOS, la majorité des hôpitaux s’est dotée de CLAN. Leur fonctionnement n’étant pas financé et leurs avis ne sont que consultatifs, et ne leur permettent alors pas d’instaurer des stratégies pérennes de dépistage et de prise en charge.

Nous demandons ainsi l’inscription des CLAN dans la loi et leur attribution d’un caractère obligatoire, en précisant leurs missions, en assurant leur financement et en les dotant de réels pouvoirs auprès de la CME.

13. Former l’ensemble des professionnels à la prévention, au dépistage et à la prise en charge de la dénutrition, quel que soit l’âge ou la pathologie.

Durant les cursus de médecine, pharmacie, chirurgie dentaire et maïeutique, la dénutrition, malgré sa fréquence et sa gravité, ne bénéficie pas d’un enseignement suffisant. Un sondage effectué sur un échantillon représentatif de médecins généralistes par le collectif de lutte contre la dénutrition, en 2017, confirme que ces derniers se sentent insuffisamment compétents dans ce domaine.
En France, la formation de diététicien s’effectue en 2 ans seulement, contrairement aux autres pays européens où la formation est au minimum de 3 ans. Cette formation initiale est parfois enrichie par divers diplômes non obligatoires ou par l’expérience acquise dans les hôpitaux. Sous la même qualification de « diététiciens » il existe donc des disparités de compétences cliniques.
La sensibilisation ou la formation des aides à domicile à la dénutrition des personnes âgées (prévention et dépistage, notamment en les incitant à peser) est insuffisante. Si le diplôme d’état d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS) prévoit bien un module alimentation, moins de 20% des aides à domicile sont détentrices du DEAVS.


Pour faire cela à cela, nous proposons :
• L’augmentation significative de l’enseignement de la nutrition clinique dans tous les cursus de santé.
• L’affirmation de l’objectif que tous les futurs médecins généralistes puissent être compétents dans la prescription des soins nutritionnels de premier recours chez un patient dénutri.
• La création d’un nouveau cursus de diététicien, effectué en 3 ans, différent des cursus existants, ayant pour objectif le soin nutritionnel, délivrant un diplôme de « diététicien clinique ».
• L’organisation de l’obtention de ce diplôme par la VAE pour les anciens diététiciens le souhaitant.
• L’augmentation du nombre de « diététiciens cliniques » en ville et en établissements.
• L’augmentation du niveau de formation des auxiliaires de vie sur l’alimentation des personnes dépendantes

14. Faire que la lutte contre la dénutrition soit une composante des politiques nationales et locales de santé notamment en pérennisant l’organisation de la semaine nationale de la dénutrition dans le cadre des PNNS


La dénutrition est insuffisamment connue de nos concitoyens et insuffisamment intégrée dans les politiques de santé. Le terme de dénutrition renvoie essentiellement, pour la plupart des citoyens, à des notions de famine (insuffisance d’accès à l’alimentation dans des pays ou temps lointains) et très peu à l’absence d’appétit dans les pays d’abondance alimentaire).


Face à cela, nous proposons :
• La pérennisation de l’organisation de la semaine nationale de la dénutrition au-delà de 2023
• La déclinaison des actions du PNNS dans la stratégie nationale de santé.
• L’encouragement des partenariats entre le réseau des villes amies du PNNS et le réseau des villes amis des aînés.
• La déclinaison de ces objectifs nationaux dans les documents d’orientation régionaux et départementaux (PRS et schémas autonomie des conseils départementaux).